Le Guatemala mortellement blessé

Par Ilka Oliva Corado*

Traduit de l’espagnol pour El Correo de la Diaspora par : Estelle et Carlos Debiasi

Cela peut être une pandémie, une tempête, un coup de vent, une sécheresse, peu importe, tout est utilisé comme prétexte par l’État guatémaltèque pour piller et nuire davantage aux exclus. Peu importe quel gouvernement est au pouvoir, il n’y a pas de grande différence entre une marionnette et l’autre, ces voyous qui parviennent à s’asseoir dans le fauteuil n’arrivent que pour voler à pleines mains et se vanter des privilèges du pouvoir et de l’impunité. Le Guatemala est un pays mortellement blessé par des fils tyrans, médiocres et traîtres.

Au Guatemala le pire n’a pas de limite, l’étau ne finit jamais, le corps encaisse toujours, le cuir continue à donner plus de sangles, c’est une population que les gangs de bandits des oligarchies ont laissé avec les os à nu et en perpétuelle famine, les pressent en comptant les gouttes de sang, tandis que les délinquants se goinfrent de ce qui a été volé.

C’est une population mortellement blessée. Il n’est pas possible que l’État n’ait pas les ressources nécessaires pour faire face à l’urgence d’une tempête, que l’aide ne puisse pas atteindre les communautés dans le besoin, qu’il soit aussi insolent et dénigrant pour les zones rurales, les traitant comme inférieures, leur jetant de la nourriture dans des sacs en plastique depuis un hélicoptère de l’armée qui, en temps de dictature, atterrissait très bien partout où il allait et faisait tout ce qu’il fallait pour violer les populations. Ce n’est pas possible. Pourquoi y a-t-il une stratégie pour violer et non pour sauver ? Si c’est une entité médiocre et incapable qui ne travaille pas au bénéfice de la population, elle doit être éliminée.

C’est ne pas possible que l’été laisse les parents sans leurs enfants et les petits-enfants sans grands-parents en raison de la sécheresse et de la famine. Il n’est pas possible qu’un virus fasse s’effondrer le pays alors que ce qui devrait être, c’est que le gouvernement réponde le plus rapidement possible aux besoins de la population. Parce que le Guatemala a les ressources, ce qui se passe, c’est que les corrompus la volent, la pillent, la noient à partir de points stratégiques du gouvernement, lui attachent les mains et les pieds, la bâillonnent, la violent jusqu’à ce qu’elle se retrouve sans sens, laissant leur impunité durer.

De même il n’est pas non plus possible que les grands métiers des universités, les grands diplômés, les grands étudiants universitaires, les grands analystes et intellectuels, les grands artistes ne servent qu’à déclamer sur les réseaux sociaux et à faire preuve de bravoure et de cervelle là où ils peuvent se pavaner, là où d’autres les lancent des fleurs, où les tapis sont disposés les uns pour les autres, où ils peuvent être reconnus et applaudis par les mêmes personnes qui, médiocrement, ne marcheront jamais aux côtés des paysans et des ouvriers et n’embrasseront jamais leurs luttes. Car avant le bien-être de la population, il y a leur ego, leurs prétentions et leur soif de lumière, d’acceptation et de reconnaissance individuelle, même à cause des tripes des pauvres.

Non, ce n’est pas seulement la responsabilité des voleurs qui viennent au fauteuil, ni des oligarchies, c’est la tiédeur de ceux qui ont le savoir, et sont séduits par l’égo , le racisme, le classicisme qu’ils expriment. L’ambition les séduit, le besoin de vouloir tout contrôler, d’être le centre d’attention. Le dégoût qu’ils éprouvent pour ceux qui sont différents, pour ceux qu’ils considèrent comme inférieurs parce qu’ils n’ont pas le même statut social, la même carte universitaire, la même couleur de peau, la même ethnie les emporte.

C’est en grande partie la responsabilité des masses vaniteuses qui se prennent pour le dernier verre d’eau dans le désert simplement parce qu’elles sont urbaines, ou parce qu’elles parlent une langue étrangère, ou parce qu’elles ont voyagé dans d’autres pays en vacances. Parce qu’elles croient avoir une capacité d’analyse supérieure qui est inutile car elles n’agissent pas car pour agir et sortir du confort des réseaux sociaux, il faut du courage et le courage n’est pas donné par l’ethnicité, ni statut social ou éducatif, encore moins la paresse et la maladresse.

C’est le manque d’engagement de ceux qui peuvent tendre la main et décider de mettre le pied. Vous n’avez pas besoin d’être en position de puissance pour regarder l’autre dans les yeux et y mettre votre épaule. Ce qui se passe, c’est que nous nous croyons supérieurs, plongés dans des bulles, asservis à une misérable pensée qui ne nous permet pas de voir que les bras que nous avons sont pour nous aider et aider les autres. Parce que c’est bien de jeter la pierre et de cacher sa main. Parce que ceux qui mettent le sang, la faim, la poitrine, la fatigue et la vie sont toujours les mêmes, depuis des millénaires : les peuples originaires.

Nous avons mortellement blessé le Guatemala nous tous qui avons pu faire quelque chose et avec le chilate [1] dans nos veines, nous nous sommes assis pour voir comment les autres préparent le linceul.


Ilka Oliva Corado * pour son blog Crónica de una inquilina

* Ilka Oliva Corado, Peintre, écrivain et poète. Ilka Oliva Corado est née à Comapa, Jutiapa, Guatemala, le 8 août 1979. Elle a obtenu son diplôme d’enseignante en éducation physique pour se consacrer plus tard à l’arbitrage de football professionnel. Elle a étudié la psychologie à l’Université de San Carlos au Guatemala, une carrière interrompue par sa décision d’émigrer aux États-Unis en 2003, un voyage qu’elle a fait en tant que femme sans papiers, traversant le désert de Sonora dans l’état d’Arizona. Elle est l’auteur de quinze livres : En savoir plus sur l’auteur. @ilkaolivacorado

Crónica de una inquilina. Guatemala, le 10 novembre 2020.

El Correo de la Diaspora. Paris, le 14 novembre 2020

FUENTE: https://cronicasdeunainquilina.com/2020/11/17/le-guatemala-mortellement-blesse/

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Slavoj Zizek: In American protests, victims of Trump’s policies help the criminal erase the crime

By: Slavoj Zizek

Be they against the Covid-19 lockdown or police brutality, the protests gripping the US stem from a ‘money or life’ choice, where people are forced to choose money. The poor are victims, helping to cover up the crime against them.

Our world is gradually drowning in madness: instead of solidarity and coordinated global action against the Covid-19 threat, not only are agricultural disasters proliferating, raising the prospect of massive hunger – locusts are invading areas from Eastern Africa to Pakistan – but political violence is also exploding, often ignored by the media. How little do we read about the military border clashes between India and China, with multiple wounded?

In such a desperate age, one should be excused for escaping from time to time into good old formulaic crime series, like the British-French show ‘Death in Paradise’.

In one of the later episodes, the killer’s motive is the brutal humiliation and torment the victim had subjected him to in high school. Mortally wounded, the victim realizes what suffering he had caused, and uses the last ounce of his strength to alter the scene so that it would seem a third person had perpetrated the murder, in order to exonerate the real killer.

There is something noble in such a gesture, a trace of authentic redemption. But ideology finds a way to pervert even such noble gestures; it can compel the victim, not the criminal, to voluntarily erase any traces of the crime and present it as an act of his or her own free will. Is this not what thousands of ordinary people who demonstrate for an end to the lockdown are doing in the paradise called USA?

‘Money or life’ is not a free choice

Returning too quickly to ‘normality’, as advocated by Trump and his administration, exposes many people to the deadly threat of infection – but they nonetheless demand it, thereby covering up any traces of Trump’s (and the capital’s) crime.

In the early 19th century, many miners in Wales rejected helmets and other expensive protective equipment, even though this gear greatly reduced the possibility of deadly accidents which abounded in coal mines, because the costs were deducted from their salaries.

Today we seem to regress to the same desperate calculation, which is a new inverted version of the old forced choice ‘money or life’ (where, of course, you choose life, even if it is life in misery). If you now choose life against money, you cannot survive, since you lose money and life, so you have to return to work to earn money to survive – but the life you get is curtailed by a threat of infection and death. Trump is not guilty of killing the workers, they made a free choice – but Trump is guilty of offering them a ‘free’ choice in which the only way to survive is to risk death, and he further humiliates them by putting them in a situation whereby they must demonstrate for their ‘right’ to die at their place of work.

One should contrast these protests against the lockdown with the ongoing explosion of rage triggered by another death in the American paradise, the death of George Floyd in Minneapolis. Although the rage of the thousands of black people protesting this act of police violence is not directly linked to the pandemic, it is easy to discern from their background the clear lesson of the Covid-19 death statistics: black and Hispanic people have a much greater chance of dying due to the virus than white Americans. The outbreak has thus brought out the very material consequences of class differences in the US: it’s not just a question of wealth and poverty, it is also quite literally a matter of life and death, both when dealing with police and when dealing with the coronavirus pandemic.

And this brings us back to our starting point from ‘Death in Paradise’, to the noble gesture of the victim helping the perpetrator to erase all trace of his act – an act which was, if not justified, at least understandable as an act of despair. Yes, the black protesters are often violent, but we should show their violence a little bit of the same leniency as the victim does towards his killer in the ‘Death in Paradise’ episode.

Source and Image: https://www.rt.com/op-ed/490252-minnesota-riots-money-life/

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